REVIREMENT : ADMISSION DANS UN LITIGE CIVIL DE LA PREUVE OBTENUE DELOYALEMENT

Jurisprudence
03/01/2024

REVIREMENT : ADMISSION DANS UN LITIGE CIVIL DE LA PREUVE OBTENUE DELOYALEMENT

Deux affaires examinées par la formation plénière de la Cour de cassation ont été l’occasion d’opérer un revirement de jurisprudence.

Dans la première affaire, un salarié a saisi la justice afin de contester son licenciement pour faute grave. Pour prouver cette faute, l’employeur a soumis au juge l’enregistrement sonore, réalisé à l’insu du salarié, d’un entretien au cours duquel le salarié a tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied. La cour d’appel a déclaré cette preuve irrecevable car l’enregistrement était clandestin et en l’absence de preuve de la faute, le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation a admis que des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable. Toutefois, la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse.

La Cour opère ce revirement notamment au visa de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme ne retient pas par principe l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales et estime que lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6 § 1 entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence. Il y a donc lieu de considérer désormais que dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production de la preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit apprécier, lorsque cela lui est demandé, si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

 

Dans la seconde affaire, un intérimaire, remplaçant un salarié en congés, a utilisé son poste informatique sur lequel il a pris connaissance d’une conversation par messagerie Facebook, le compte du salarié absent étant resté ouvert. Ce dernier sous-entendait que le salarié intérimaire avait bénéficié d’une promotion en raison de son orientation sexuelle et de celle de son supérieur hiérarchique. La conversation a été transmise à l’employeur, lequel a licencié le salarié ayant tenu ces propos pour faute grave. La cour d’appel a écarté des débats cette conversation par messagerie Facebook.

La Cour de cassation a considéré que les juges n’avaient pas à s’interroger sur la valeur de la preuve provenant de la messagerie Facebook. Il n’est possible de licencier un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle que si celui-ci constitue un manquement à ses obligations professionnelles. Or les propos échangés par le salarié avec l’un de ses collègues sur la messagerie Facebook constituent une conversation privée qui n’avait pas vocation à être rendue publique et ne pouvait s’analyser en un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail.

 

Jusqu’à présent, une jurisprudence de 2011 imposait un principe de loyauté dans l’administration de la preuve, de sorte que la preuve obtenue de manière déloyale, à l’insu d’une personne grâce à une manœuvre ou un procédé déloyal, un juge ne peut pas en tenir compte (Cass. Ass. Plen., 22 décembre 2023 n°20-20.648 et n°21-11.330).